Les voies des distributeurs de films sont parfois impénétrables… C’est en effet en plein cœur de l’été que sort La Peur, le long-métrage de Damien Odoul sur la Première Guerre mondiale, adapté du livre de Gabriel Chevallier de 1930.
Rêvant de participer à cette guerre qui débute dans « une atmosphère de fête foraine », le héros de La Peur – double de l’auteur qui a lui-même vécu cette guerre – part vers le front à 19 ans, l’esprit joyeux, animé d’une forte curiosité pour ce qu’il considère encore comme un spectacle à ne pas manquer. Très vite, il découvre le vrai visage de la guerre et cette sensation de peur qui ne le quitte plus. Il nous raconte son quotidien de soldat, les privations, les tranchées, l’amateurisme des chefs, les combats, et surtout les premiers blessés qu’on voit arriver, les mutilations affreuses, les blessures volontaires, puis les morts, nombreux, le massacre des siens, cette guerre qui n’en finit pas.
Différences
Elles sont relativement importantes, Damien Odoul prenant de nombreuses libertés par rapport au livre.
Dans le texte de Chevallier, le héros se nomme Jean Dartemont. S’il évoque certains camarades, et noue des liens avec des soldats, c’est un personnage décrit comme assez solitaire, dont les rencontres avec des femmes sont seulement épisodiques. Ses relations avec sa famille sont tout de même mentionnées, à l’occasion de la semaine de convalescence qu’il passe chez son père. C’est l’un des passages les plus marquants du roman. Chevallier dépeint un arrière à mille lieues d’imaginer la boucherie qui se déroule à quelques centaines de kilomètres de là, soucieux seulement des récompenses et des galons.
Cet épisode, comme de nombreux autres, est malheureusement oublié par le film. Damien Odoul reprend la trame générale du livre sans en respecter le déroulement. Il y pioche certaines anecdotes fortes, qu’il insère dans le récit comme bon lui semble, tout en ajoutant des scènes de son cru. Il romance également le personnage du livre et son entourage. Nommé Gabriel Dufour, c’est un jeune amoureux qui quitte sa fiancée Marguerite à grand regret et s’engage aux côtés de ses deux amis, Théophile et Bertrand, que l’on suit également. Damien Odoul imagine les lettres que Gabriel envoie à Marguerite pour raconter, déclamer presque, en voix-off, ce qu’il vit sur le front.
Points forts du film
Le film surprend par son côté expérimental, notamment dans l’utilisation des ralentis dans la scène inaugurale. Ses personnages semblent s’exprimer comme ils le feraient sur une scène de théâtre – ce qui peut parfois malheureusement sonner faux. Les acteurs sont tous non professionnels et méconnus.
Points forts du livre
Il nous livre un témoignage d’une force rare sur les horreurs de cette guerre, menée il y a cent ans à peine. Gabriel Chevallier ne cache rien, montre tout. Cette plongée dans la tête d’un soldat pendant son instruction, sur le front, à l’hôpital, nous laisse K.O.
Qui gagne le match ?
Même si son approche est intéressante, le film d’Odoul reste trop formel. Son aspect théâtral, les déclamations de son héros, son recours à l’onirisme, en font un objet artistique, mais sans émotion. Facilement oubliable, il a tout de même le mérite de remettre le livre au goût du jour. C’est ce dernier qui remporte le match.